Toutes les voix du monde (4)
Après le continent
américain, après le continent asiatique, il est logique de regarder vers
L’Afrique, zone d’influence traditionnelle de la langue française et aussi
continent où vivent le plus grand nombre de francophones au monde. Pour cette
raison d’ailleurs, nous diviserons notre approche en deux parties :
L’Afrique du Nord puis l’Afrique subsaharienne à laquelle s’ajouteront des îles
de l’océan indien (Madagascar, Maurice,…). Commençons par le Maghreb où le
statut de la langue française, pour différent qu’il soit d’un pays à l’autre,
présente tout de même une similitude au moins quantitative. En effet le
français y est, tant au Maroc, en Tunisie, qu’en Algérie, langue seconde et
dans chacun de ces pays, c’est peu ou prou la moitié de la population qui parle
français.
Le Maroc fait partie de
l’O.I.F. (Organisation Internationale de la Francophonie qui regroupe
quatre-vingt pays ou gouvernements dans le monde). Le pays compte trente-cinq
millions d’habitants et on estime que 45% de la population, soit seize millions
des personnes, y parlent le français qui reste la langue de l’administration et
de l’enseignement supérieur. Au salon du livre à Paris, en mars 2017, une
nouvelle génération d’écrivains marocains était invitée d’honneur et une bonne
trentaine d’auteurs y étaient présents : citons Yasmine Chami (Mourir est un enchantement paru chez
Actes Sud), Abdellatif Laâbi (Petites lumières aux éditions La
Différence), Mahi Binebine (Le Fou du roi chez Stock) sans oublier,
évidemment, Tahar Ben Jelloun (prix
Goncourt 1987 pour La nuit sacrée), ni Fouad
Larami (Une Année chez les Français
édité chez Julliard) ou encore Leila
Slimani (prix Goncourt 2016 pour
Chanson douce chez Gallimard). L’écrivain Mohamed Nedali (Evelyne ou le Djihad aux éditions de
l’Aube) raconte ainsi sa décision d’écrire en français à partir de la lecture
de l’Etranger de Camus : « J’ai eu
le coup de foudre pour le livre, le français et la littérature » parce
qu’ « émerveillé par la simplicité
et la beauté de ces phrases courtes » ; la littérature française l’a,
dit-il, « libéré du joug de la
vérité unique, de l’insoutenable poids des traditions, de la médiocrité et de
la bêtise humaines » (cité in La
Croix du 4 août 2017) .
La situation en Algérie est
sensiblement différente. Le pays ne fait pas partie de l’O.I.F. et la langue
française n’y a pas de statut visible mais, paradoxalement, le français est en
train de reconquérir le pays. Sur les 41 millions d’habitants, malgré l’absence
de statistiques linguistiques (interdites pour des raisons internes au pays),
on considère que plus de la moitié de la population parle français soit environ
vingt millions de personnes. L’Algérie nous a donné de magnifiques écrivains :
Assia Djebar, élue à l’Académie Française
en 2005, Yasmina Khadra, ex-officier
supérieur de l’armée de terre, qui nous déclare « C’est transmettre l’émotion qui m’importe. Je pousse la langue
française jusqu’à ses limites pour montrer qu’elle peut exprimer tout ce que je
veux » et aussi « La langue
française m’a reconstruit. Elle m’a toujours accompagné et je veux la mériter ».
Mohamed Dib (grand prix de la
francophonie en 1994) assure : « je
me suis fait et découvert avec cette langue ». Le linguiste,
professeur à l’université d’Alger, Khaoula
Taleb Ibrahimi nous résume la place du français aujourd’hui : « Le français n’est plus ce « butin
de guerre », comme l’écrivait Kateb
Yacine. Le rapport à la langue a changé… En fait, le français est maintenant
devenu une langue étrangement algérienne ».
La Tunisie, qui fait
également partie de l’O.I.F., vient de vivre un psychodrame dans son rapport à
la langue française. En effet le ministre de l’éducation, Néji Jalloul, a proposé en 2016 de faire de l’anglais la seconde
langue du pays. Les réactions de refus des Tunisiens ont été tellement
virulentes que la situation du français s’en est paradoxalement trouvée
renforcée ! Il faut dire que la Tunisie compte près des deux tiers de la
population qui parlent français, soit près de sept millions de personnes.
Surtout, les Tunisiens ont pris conscience que le passage à l’anglais éloignerait
la Tunisie du monde francophone. Ce n’est pas un hasard si la Tunisie est le
seul pays arabe à avoir réussi la transition démocratique ; par exemple,
le voile intégral y est interdit (le niqab est interdit dans l’ensemble des
pays francophones, y compris dans les pays musulmans alors qu’il est autorisé
dans l’ensemble des pays anglophones, y compris dans les pays non-musulmans).
Passer à l’anglais aurait rapproché la Tunisie des pays arabes
« anglophones » du Moyen-Orient, de leurs codes culturels, de leurs
orientations géopolitiques, sensiblement éloignées des valeurs humanistes
prônées par la francophonie. In fine, la Tunisie a réaffirmé son choix du
français. N’oublions pas que Habib Bourguiba, le père de
l’indépendance, fut l’un des chantres de la francophonie. La Tunisie nous a
aussi offert de remarquables écrivains : Azza Filali (Les Intranquilles
- éditions Elyzad), Mohamed Lazghab
(Le Printemps des délires – éditions
Atlas), Ali Becheur (Le Paradis des femmes – Elyzad), ou
encore Yamen Manai (prix 2017 des
cinq continents de la francophonie pour son roman L’Amas ardent paru chez Elyzad), etc.
Traits d’union entre la
francophonie du nord et la francophonie du sud, les pays du Maghreb tiennent
une place à la fois spécifique et dynamique dans l’univers francophone, représentant à eux
seuls plus de quarante millions de locuteurs. Ils préfigurent aussi l’émergence
d’une Afrique francophone subsaharienne, qui fera donc l’objet de notre
prochain article.
Alain Sulmon,
Délégation du Gard