Toutes les voix du monde (5)
Après les Amériques, après l’Asie,
après l’Afrique du Nord, regardons maintenant vers l’Afrique subsaharienne dont le monde
commence seulement à prendre conscience de l’émergence démographique et économique.
L’Afrique subsaharienne francophone est en effet désormais un des principaux
relais de la croissance mondiale. Il s’agit d’un ensemble de vingt-deux pays,
d’une étendue totale de plus du double de l’Union Européenne et d’une
croissance globale de 3,7% en 2016 (neuf des treize pays africains ayant
enregistré une croissance supérieure ou égale à 5% sont francophones). Plus de cent
millions de francophones y sont déjà répertoriés et on estime qu’ils seront au
moins trois cent millions en 2050, probablement même près de cinq cent millions
à la fin de ce siècle (Les francophones du monde entier, d’après de récentes
projections de l’Organisation
Internationale de la Francophonie, seront probablement cinq cents millions dès
2050 et représenteront entre sept et huit cents millions de personnes à la fin
du XXIème siècle ; le français (re)deviendra alors l’une des trois langues
les plus parlées au monde avec le mandarin et l’anglais).
La liste serait trop longue
s’il fallait citer tous les écrivains francophones, mais donnons tout de même
quelques noms (un seul par pays pour faire court !), afin de montrer à
quel point la prodigalité de la création littéraire dans l’ensemble des pays de
ce sous-continent est en pleine expansion : la Sénégalaise Mariama Bâ (Une
si longue lettre), la Camerounaise Calixthe Belaya (Grand Prix de
l’Académie Française en 1996 pour Les honneurs perdus), l’Ivoirien Ahmadou
Kourouma (prix Renaudot en 2000 pour Allah n’est pas obligé), le
Guinéen Camara Laye (L’enfant noir), le Zaïrois Henri Lopes (le
pleurer-rire), le Malien Moussa Konate (la malédiction du lamantin), le Togolais Kossi Yossuah Efoui (La
fabrique des cérémonies), le Djiboutien Abdourahman Waberi (La divine
chanson), la Rwandaise Scholastique Mukasonga (prix Renaudot 2012
pour Notre-Dame du Nil paru chez Gallimard), la Burundaise Esther Katamari (Princesse des Rugo), le Tchadien Kously Lanko (La phalène
des collines), le Gabonais Janis
Otsiemi (Tous les chemins mènent à l’autre), le Congolais Alain
Mabanckou (Bleu-blanc-rouge), le Béninois Jérôme Nohouaï (Le
piment des plus beaux jours), le Burkinabé Frédéric Titinga Pacéré (Des
entrailles de la terre), le Centrafricain Didier Kassaï (L’odyssée
de Mongou), etc., etc.
Avant même le processus de l’indépendance, l’Afrique subsaharienne, du
point de vue de la langue française, était déjà bien partie puisque Léopold Sédar Senghor, élu à l’Académie
Française en 1983, se fit très tôt le chantre de la francophonie du Sud : "Le français, ce sont les grandes orgues, qui
se prêtent à tous les timbres, à tous les effets, des douceurs les plus suaves
aux fulgurances de l’orage. Il est tour à tour ou en même temps, flûte,
hautbois, trompette, tam-tam et même canon" (Ethiopiques – 1956).
Encore faut-il y ajouter les pépites de la
francophonie en provenance de quelques îles de l’Océan indien : Madagascar
(redevenue officiellement bilingue malgache-français en 2010), Maurice
(pourtant officiellement anglophone depuis trois siècles !), Les Seychelles,
les Comores : Le Clézio, Malcom de Chazal, Henri favory.... Voici encore trois d’entre eux nouveaux-venus :
le Malgache Jean-Luc Raharimanana
qui déclare puiser dans San-Antonio les mots de sa révolte contre la
dictature, le Comorien Ali Zemir
(prix Senghor 2016 pour Anguille sous roche paru chez Tripodes)
ou la jeune Mauricienne Natacha Appanah
(prix Fémina 2016 des lycéens pour Tropique de la violence chez
Gallimard), laquelle polyglotte (créole, anglais, français et quelques
langues indiennes,…), confie : « Pour moi le français est la
langue dans laquelle naissent les histoires… Au sein des livres, le français
devient sentiment, chair, se transforme en quelque chose de vivant et de palpitant
comme la peau du cœur et alors cette langue française se mue en langage »
(journal La Croix du 25/01/2017).
La langue française est aujourd’hui déjà
largement fécondée par un continent africain en plein développement
démographique : comme cela s’est passé pour l’anglais, l’espagnol ou le
portugais, par exemple, si l’épicentre du français se déplace un jour sur un
autre continent, ce sera assurément l’Afrique.
Alors laissons le mot de la fin à un de ses fils les plus célèbres, Léopold Sédar Senghor, qui, parlant plusieurs langues africaines (le
Sérère, sa langue maternelle, le Malinké, sa langue paternelle, le Wolof,
la langue vernaculaire du Sénégal, mais aussi plusieurs dialectes mandingues
comme le Bambara) qualifiait
ainsi la situation de la langue française dans le monde : « La
Francophonie, c’est un humanisme intégral qui se tisse tout autour de la
terre ». Le tour de la terre ? Il n’est pas encore terminé
puisqu’il nous reste à voir où en est le français dans le dernier et vieux
continent qu’on appelle l’Europe. Ce sera pour le prochain article.
Alain Sulmon,
Délégation du Gard