Promotion et rayonnement de la langue française.

Maintenir la qualité de notre langue, sans laxisme ni purisme.

DIGITAL, Vous avez dit digital ?

De : Alain Sulmon <alain.sulmon@gmail.com>
Date : 7 août 2017 à 11:59
Objet : Digital, vous avez dit digital ?
À : BAL-LACROIX-LECTEURS <
lecteurs.lacroix@bayard-presse.com>
Cc : 
dlf.gard@gmail.com


Bonjour,

Dans votre numéro du mercredi 2 août (p.7), vous écrivez le titre suivant d’un article consacré au Cambodge : « Le digital aide le travail de mémoire des Cambodgiens ». En français, le mot « digital » désigne ce qui a rapport avec les doigts (on pourrait éventuellement l’associer à ce qui est tactile). Le mot de la langue française correspondant est « numérique ». Donc, en bon français, c’est  le numérique qui aide le travail de mémoire des  (et non le digital)

Cet usage de « digital », directement importé de l’anglo-saxon, n’est pas correct dans notre langue même s’il est assez couramment pratiqué. Les journalistes, et notamment les journalistes de la presse écrite, ne doivent-ils pas s’attacher à écrire correctement leurs articles du fait de leur responsabilité médiatique ?

Dans le numéro de La Croix du 31 juillet dernier, sous le titre Le Liban, gardien dévoué du français (p. 23), vous  citez une journaliste de Radio-Liban trilingue (arabe, français, anglais) qui s’insurge contre les anglicismes qui envahissent notre langue : « Pourquoi direflop plutôt qu’échec ? Pourquoi start-up plutôt que jeune pousse ?... » cela « dénature », ajoute-t-elle, le français : « Notre vocabulaire s’affaiblit et ainsi, c’est une culture qui se perd »

Pour ma part, je considère que le déclin de la presse écrite est également lié à la dégradation alarmante de la langue écrite par trop de journalistes qui ne l’emploient plus correctement. Pourquoi s’abonner à des journaux ou à des magazines quand leur niveau d’expression se rapproche de ce qu’on peut lire sur des réseaux sociaux ? Je suis convaincu que ces journalistes scient, de ce fait, la branche sur laquelle ils sont assis. Je n’ai pas envie de voir disparaître La Croix, donc exigez de vos journalistes qu’ils maîtrisent notre langue et la respectent ou, s’ils n’en sont plus capables, séparez-vous d’eux…

Bonne réception,

Cordialement,

De : BAL-LACROIX-LECTEURS [mailto:lecteurs.lacroix@bayard-presse.com]
Envoyé : mercredi 9 août 2017 11:57
À : Alain Sulmon
Objet : RE: Digital, vous avez dit digital ?

Cher Monsieur,

Votre courrier nous est bien parvenu et nous en avons pris connaissance avec intérêt. Les personnes en charge de la relecture des articles ont été alertées.
Concernant l’emploi du terme « digital », vous avez tout à fait raison. Néanmoins, le mot est maintenant reconnu dans le sens de « numérique » par les dictionnaires, qui précisent toutefois qu’il s’agit d’un anglicisme. La recommandation officielle est bien « numérique ». En principe, nous utilisons à La Croix ce dernier terme, le cas soulevé résultant soit d’un oubli soit d’un choix d’éviter une répétition.
Pour ce qui concerne les anglicismes en général, nous nous efforçons de les éviter effectivement, parfois l’équivalent français n’est cependant pas suffisamment connu ou reconnu hors contexte spécifique (« jeune pousse » pour « start-up » par exemple). Votre réflexion sur l’impact du style de langue utilisé sur la survie des journaux papier est intéressante. A la rédaction de La croix, nous sommes sensibles à la bonne tenue de langue de nos articles même s’il peut y avoir quelques « loupés » .

Nous vous remercions vivement de votre attachement au journal.



Bien cordialement
Nathalie Jira
Service Relations Lecteurs  La Croix



Quand le français soigne son image !

La langue française n’est pas réservée à des modes d’expression destinés à une élite. Nous avons vu dans un précédent article qu’elle a fait merveille au cinéma, art populaire s’il en est. Dans le présent article, c’est de la bande dessinée que nous allons parler, et plus spécifiquement des relations étroites entre le dessin et le texte dans la bande dessinée francophone, entre le trait et la plume, entre l'image et sa bulle. 

Faisons démarrer l’histoire de la bande dessinée française à la fin du XIXe siècle avec La Famille Fenouillard, Le Sapeur Camember ou encore Les Pieds nickelés et leurs trois malappris Ribouldingue, Croquignol et Filochard. Déjà une tendance se dégage, qui se confirmera tout au long de son histoire : la bande dessinée francophone est affaire de personnages dont les noms à eux seuls sont déjà une invitation au burlesque et au plaisir des mots. De Bécassine à Astérix et Obélix (la BD la plus vendue au monde) en passant par Jo et Zette, Sylvain et Sylvette, Zig et Puce, Quick et Flupke, Tintin et Milou, Spirou, le Marsupilami, Alix le Gaulois, Michel Vaillant, Lucky Luke, Gaston Lagaffe, Achille Talon... pour ne citer qu’eux, les noms des héros de la bande dessinée francophone annoncent des scénarios où les bulles seront au moins aussi importantes que les vignettes qu’elles illustrent. Comme pour le cinéma, les mots prennent le pas sur l’histoire et la langue devient première. 
Certes, le dessin a aussi une grande importance, et sous l’influence prépondérante de la bande dessinée belge, c’est le concept de la ligne claire qui va progressivement faire école et marquer toute la bande dessinée francophone. Cependant, l’inspiration commune et spécifique de cette bande dessinée francophone, c’est avant tout un jeu avec la langue et les mots, plus qu’aucune autre caractéristique, et cela avec une invraisemblable créativité grâce à l’apparition systématique des bulles, c’est-à-dire d’un espace identifié et délimité réservé aux paroles des personnages. 
En voici plusieurs exemples : les compagnons d’aventures de Tintin et Milou s’appellent, entre autres, le capitaine Haddock (sans parler de la boucherie Sanzot...) ou encore les Dupond/t ; chacun a son langage, comme la tendance au juron du colérique capitaine : « Mille milliards de mille sabords ! Ectoplasme, bachi-bouzouk ! Tonnerre de Brest ! », etc. et la surenchère verbale pour les deux détectives : « Motus et bouche cousue, je dirais même plus, botus et mouche cousue, c’est notre devise ! » ou encore dans L’Oreille cassée (1937), Dupont : « Mon opinion est faite, c’est une lettre anonyme ! » et Dupond : « Je dirais même plus : c’est une lettre anonyme dont l’auteur est inconnu ! ». Chaque personnage a son langage propre, qui définit sa personnalité tout autant que sa silhouette. 
Évidemment, en matière de trouvailles linguistiques, on monte encore d’un cran avec Astérix et Obélix, puisque ce sont les personnages eux-mêmes qui jouent sur leurs propres noms, et, ici, cela en devient un véritable feu d’artifice ! 
Astérix et les Goths (1963) : Cloridric : « Ta vie ne tient qu’à un fil, Téléféric ! » Electric : « Je vais être général ! Le général Electric ! » 
Le Domaine des Dieux (1971) : Anglaigus, l’architecte : « Est-ce clair, esclave ? » Duplicatha, le Numide : « C’est dur à admettre, maître ! » Un Romain : « Il ne faut jamais parler sèchement à un Numide ! » 
Le Combat des chefs (1966) : Perclus : « Il faut trouver une solution, ô Langelus... sinon Rome va te sonner les cloches ! » 
Astérix et Cléopâtre (1965) : Panoramix : « C’est une bonne situation ça, scribe ?... » Misenplis : « Oh, c’est une situation assise... » 
Astérix en Hispanie (1969) : Touriste gaulois : « Chaque été, les Ibères deviennent plus rudes ! » 

On pourrait multiplier les exemples pris dans Astérix et pourtant, en matière d’inventivité linguistique, il y a plus surprenant encore si l’on pense aux petits hommes bleus ; vous avez certainement schroumpfé de qui il s’agit ? Gargamel n’a qu’à bien se tenir, des générations de lecteurs ont découvert une langue truffée de schroumpfs dont ils devaient schtroumpfer le sens. Et ils schtroumpfaient (et continuent de schtroumpfer) avec délectation... 

Finissons (trop vite) l’illustration de cette particularité sémantique par deux autres personnages célèbres. Tout d’abord, Gaston Lagaffe que l’on peut lui aussi rattacher à son propre langage, de l’expression « M’enfin » à son inactivité légendaire « J’ai dû m’endormir en sursaut. » ; citons au passage les expressions consacrées de quelques-uns de ses acolytes (la colère rentrée de Prunelle et son « Rogntudjuuuu », ou le ricanement sarcastique de la mouette rieuse avec son « Ihihaar »), pour rappeler que la bande dessinée francophone est également une source inépuisable de centaines d’onomatopées inventées au fil des pages ; enfin terminons par Achille Talon, qui se définit comme « admirable, calme, mais granitiquement résolu », au bon sens bien charpenté : « Je vais dégager l’allée avec souplesse, vélocité et ma pelle » ou « Allons faire le point devant un café puissant, cette nuit blanche m’a donné des idées noires ». 
La bande dessinée francophone reste extrêmement active et dynamique, comme l’illustre le festival annuel de la Bande dessinée d’Angoulême (en janvier), qui demeure le premier rassemblement international du genre. Et même si elle a bien évolué ces dernières années – chassez le naturel, il revient au galop –, la bande dessinée d’expression française reste fortement imprégnée d’une verve croquignolesque. 

Alain Sulmon 

Délégation du Gard 

Notre Président

Alain Sulmon Président

 

Prix Nobel


  
  Le prix Nobel de littérature, comme les autres prix Nobel, a été créé en 1901 et c’est traditionnellement au mois d’octobre de chaque année qu’il est attribué. La langue française y a été maintes fois distinguée puisque non seulement la France est le pays qui a reçu le plus grand nombre de prix Nobel de littérature, mais aussi parce que la langue française tient une place spécifique dans l’histoire de ce prix.
Le premier prix Nobel, celui de 1901 a été attribué à un Français, le poète René-François Sully-Prudhomme ( mis en concurrence, cette année-là,  avec un autre écrivain français Emile Zola ; il n’est pas sûr que le jury du prix Nobel ait fait le meilleur choix…) et c’est le début d’une étonnante série qui va récompenser des écrivains francophones : en effet, sur les cent-dix prix Nobel de littérature attribués à ce jour (six années ont été "blanches", principalement pour cause de guerre), quinze l’ont été à des écrivains français avec, par ailleurs, quelques particularités surprenantes.
Notons déjà un cas unique : deux lauréats portent le même nom, Mistral ! Le second, ou plus exactement la seconde, Gabriela Mistral (de son vrai nom Lucila de Maria del Perpetuo Socorro Godoy Alcayaga, de nationalité chilienne) est la première écrivaine sud-américaine à obtenir le prix Nobel en 1945 ; elle avait décidé d’adopter ce patronyme de "Mistral" en hommage à notre poète provençal Frédéric Mistral, lui-même prix Nobel de littérature en 1904.
Autre particularité : Henri Bergson en 1927 se voit décerner le prix Nobel alors qu’il n’a écrit aucune œuvre de fiction, c’est-à-dire aucun roman ou aucune pièce de théâtre, ni aucune œuvre poétique ; il n’a produit que des œuvres philosophiques et sa distinction fit sensation, au moins autant que le choix du chanteur américain Bob Dylan en 2016.
Encore une singularité : un seul écrivain a osé refuser le prix, il s’agit aussi d’un Français, Jean-Paul Sartre en 1964 (en réalité il y avait eu un précédent en 1958 puisque le russe Boris Pasternak, l’auteur du Docteur Jivago, en avait été empêché par le régime soviétique mais ce refus n’avait évidemment rien d'un libre choix).
Deux autres "purs" poètes d’expression française ont été primés, ce qui reste rarissime : le Belge Maurice Maeterlinck en 1911 (donc un seizième prix pour un écrivain francophone) et le Français Saint-John Perse (de son vrai nom Alexis Léger) en 1960.
Enfin des écrivains d’origine non-francophone ont été distingués pour leurs écrits majoritairement ou partiellement en Français : ainsi l’Irlandais Samuel Beckett en 1969 pour son œuvre théâtrale (et voilà un dix-septième lauréat pour la langue française !) : En attendant Godot ou Oh, les beaux jours !, pièce toujours jouée actuellement à Paris, ou encore le Français d’origine chinoise Gao Xingjian (naturalisé en 1997) primé en 2000 (c’est donc encore un écrivain français qui reçoit le dernier prix Nobel de littérature du 20°) pour son œuvre écrite en chinois et en français. C’est un très grand honneur pour notre culture que le premier écrivain d’origine chinoise à obtenir le prix Nobel de littérature ait choisi la langue française pour s’exprimer.
Au-delà de ces distinctions que l’on pourrait considérer comme anecdotiques s’il n’y avait un effet d’accumulation, ce sont souvent de nouveaux mouvements littéraires qui naissent au 20°siècle par le biais de la langue française, mouvements qui vont tout autant bénéficier d’une reconnaissance internationale. Ainsi le Surréalisme naît-il sous la plume d’écrivains qui vont inventer une nouvelle forme d’écriture (André Breton, Robert Desnos, Paul Eluard, Blaise Cendrars,… pour ne citer qu’eux…). Le genre romanesque, quant à lui, va connaître une véritable évolution et, si le Prix Nobel a couronné des romanciers "classiques" dans la première moitié du siècle : Romain Rolland en 1915, Anatole France en 1921, Roger Martin du Gard en 1937, ce sont des auteurs approfondissant de plus en plus la dimension psychologique ou philosophique du roman qui vont ensuite être primés : André Gide en 1947, François Mauriac en 1952, Albert Camus en 1957, Jean-Paul Sartre, déjà cité, en 1964, jusqu’à couronner Claude Simon en 1985, un représentant de l’école du "Nouveau roman" (La route des Flandres,…).

Les deux derniers «nobélisés» français l’ont été en 2008 avec JMG Le Clézio (J.M.G. pour Jean-Marie Gustave) et en 2014 avec Patrick Modiano; Le Clézio, polyglotte né à l’île Maurice un (petit) pays qui a été deux siècles durant un Dominion, c’est-à-dire une colonie anglaise, et dont la langue officielle est l’anglais, a fait le choix d’écrire en français. Quant à Patrick Modiano, il est d'ores et déjà considéré par certains comme le Marcel Proust du 21° siècle.
Bien d’autres auteurs d’expression française ont marqué notre époque sans obtenir pour autant le prix Nobel. Plusieurs écrivains français l’ont "raté" alors qu’ils ont apporté une nouvelle dimension littéraire à l’écriture ; on peut en citer au moins cinq : Marcel Proust et Antoine de Saint-Exupéry, promis au Nobel mais morts trop tôt, Céline devenu un écrivain maudit à cause de ses positions antisémites (mais lisez ou relisez Voyage au bout de la nuit), Louis Aragon, sans doute trop marqué politiquement, ou encore Georges Bernanos, sans doute trop marqué spirituellement.
 Du point de vue littéraire, le 20° siècle aura été flamboyant pour notre langue et les prix Nobel qui ont récompensé des écrivains français ou francophones ne représentent en réalité que la pointe avancée d’une pyramide large et dense. Nombreux sont ceux en effet qui ont apporté une contribution inestimable à l’évolution et à l’enrichissement de la littérature et de la pensée universelles.
Version 08/2017
Alain Sulmon,
Source wikipedia
Délégation du Gard