Promotion et rayonnement de la langue française.

Maintenir la qualité de notre langue, sans laxisme ni purisme.

Toutes les voix du monde (3)


             En français, toutes les voix du monde (3)

Après le continent américain, après l’Extrême-Orient, regarder vers le Proche-Orient, c’est nous tourner vers une partie du monde imprégnée de culture française et encore habitée par une francophonie latente. L’écrivain d’origine turc Metin Arditi, né en Ankara en 1945 (La Confrérie des moines volants paru chez Grasset en 2013), nous le rappelle : « Peut-être faut-il être né en Orient pour prendre la pleine mesure de ce que la culture française a occupé comme place dans le monde », et d’ajouter « Mon père parlait turc, allemand (très bien), ladino (le castillan mêlé de mots turcs) et grec. Ma mère parlait turc et ladino. Ma gouvernante Autrichienne parlait allemand et turc mais, entre nous, nous parlions français… pour nous tous, la seule vraie langue était le français, la seule vraie culture était la culture française » (journal La Croix du 10 juillet 2017). Encore aujourd’hui, en Turquie, en Syrie, au Liban, en Egypte, (pour des raisons de commodité et de positionnement géographique, nous placerons l’Egypte et la Turquie au Proche-Orient), plus de quatre cent mille élèves continuent, non pas d’apprendre le français au cours leurs études – ils sont bien plus nombreux à le faire – mais de poursuivre tout ou partie de leurs études en français. En Irak, en Iran, en Afghanistan, l’intelligentsia a longtemps regardé vers la France et continue de le faire. L’Irakienne Maha Al Haidar, née en 1971 à Bagdad, en donne une bonne illustration : A l’université, « on me proposait l’anglais que je connaissais déjà et le français que je ne connaissais pas, j’ai choisi le français…Ce fut une rencontre qui m’a ouvert de nouveaux horizons, comme libérée d’une forme de carcan… Votre culture m’a ouvert les yeux sur un ailleurs, une autre manière d’être au monde alors que je vivais sous la dictature et dans un environnement très religieux… le français a changé ma vie… La vie intellectuelle en Irak doit beaucoup à la France… » (journal La Croix du 15 mai 2017).

A partir de ce constat, on peut citer le nom quelques-uns des écrivains francophones – deux ou trois par nationalité pour ne faire trop long – originaires de cet « Orient compliqué » dont parlait le général de Gaulle et que décrit le Palestinien de nationalité égyptienne Elian-j Finbert : « Voici des musulmans, des Arméniens, des Juifs, des Syriens et bien d’autres, familles d’esprit aux contrastes et aux oppositions innombrables, qui se sont pliés à une même règle et ont accepté une discipline semblable, celle de la langue et de la culture françaises » (cité in Le français, terre Hospitalière de Joseph Boly, éditions M.E.O) : Les Libanais Vénus Khoury Ghatta, Salah Stétié, Amin Maalouf (prix Goncourt en 1993 pour Le Rocher de Tanios, élu à l’Académie Française en 2012)…, les Egyptiens Andrée Chedid (mère du chanteur Louis Chedid et grand-mère du chanteur - M - c’est-à-dire Mathieu Chédid), Out-El-Kouloub, Ahmed Rassim, ... les Palestiniens Ibrahim Souss, Elias Sanbar, Raymonda Tawil (dont la fille a épousé Yasser Arafat), les Iraniens Daryush Shayegan, Chahdortt Djavann (Comment peut-on être français ? Flammarion, 2006), Sorour Kadmaï, Marjane Satrapi, … les Syriens Kamal Ibrahim, Ali Ahmed Saïd Esber (dit Adonis), Myriam Antaki, … les Turcs Seymus Dagtekin (A la source, la nuit, Robert laffont, 2006 - mention spéciale du Prix des cinq continents de la francophonie -), Sedef Ecer, Ugur Aktas, les Israéliens André Chouraqui, Freddy Etan, Chochana Bokhobza, etc. Ajoutons-y pour terminer l’Afghan Atiq Rahimi (prix Goncourt 2008 pour son roman Syngué sabour. Pierre de Patience) qui nous explique : « Quand je suis rentré dans mon pays en 2002, j’ai retrouvé ma culture et… l’envie d’écrire en Français. Je n’arrivais pas - je ne sais pas pourquoi - à aborder certains sujets dans ma langue maternelle. La langue française m’a donné la possibilité de m’exprimer librement ». Evidemment cette liste est très loin d’être exhaustive : rien que pour l’Egypte, songez que la seule bibliothèque Sainte Geneviève à Paris dispose de plusieurs centaines d’ouvrages écrits en français par des auteurs égyptiens et l’on considère qu’il y a actuellement près de deux millions d’égyptiens qui parlent couramment notre langue. 

Le même phénomène, celui que nous avons eu l’occasion de noter avec la vietnamienne Anna Moï dans le précédent article, et que l’on pourrait qualifier d’appropriation de la langue française par les autochtones, apparaît fortement dans cette région du monde. Le journal La Croix du 31 juillet 2017, sous le titre « Le Liban, gardien dévoué du français »,  insistant sur le fait que « le français se maintient devant l’anglais et l’arabe, qui pourtant sont en pleine expansion en librairie », nous en donne deux illustrations parmi d’autres : une journaliste trilingue de radio-Liban (arabe, français, anglais) s’emporte contre les anglicismes qui s’immiscent là-bas comme ici dans notre langue : « Pourquoi dire flop plutôt qu’échec ? Pourquoi start-up plutôt que jeune pousse ? » s’irrite-t-elle et ajoute que ce mélange « dénature » le français, « notre vocabulaire s’affaiblit et ainsi c’est une culture qui se perd ». Autre exemple, la libraire Tania Hadjithomas Mehanna s’est battue pour faire entrer le mot « Beyrouthin » dans le dictionnaire : « Dès que je tapais le mot Beyrouthin sur mon ordinateur, le mot était souligné en rouge, cela m’agaçait ! Londonien est bien dans le dictionnaire alors qu’on ne parle pas français à Londres ! ». 

Nous verrons dans notre prochain article, où nous explorerons le continent africain, combien cette identification à la langue française est devenue puissante aussi dans cette autre partie du monde où notre langue a toujours exercé une grande influence, mais avant de quitter l’Orient, redonnons la parole à Naïm Kattan, natif de Bagdad, pour bien comprendre cette relation particulière qui lie beaucoup d’orientaux à la langue française : « Avec l’anglais, j’entretenais un rapport fonctionnel et, pour ainsi dire, neutre. J’avais acquis le français dans l’émotion et, pourquoi ne pas le dire, avec amour. En plus d’être la langue de la découverte, elle était pour moi la langue de l’ouverture et de la liberté » (Revue des deux mondes, nov.- déc. 2001).


Alain Sulmon,

Délégation du Gard