Vous parlez de langue d’oc. Savez-vous pourquoi ?
Nous
avons la chance d’habiter l’ancienne province du Languedoc, réduite à
cinq départements à notre époque. Mais l’Histoire nous apprend que
l’appellation de cette province a désigné un ensemble variable de territoires,
beaucoup plus vaste que sa récente désignation. Partant des Pyrénées, les pays
de langue d’oc remontaient jusqu’au
Poitou, s’étendaient de la Gascogne aux versant italiens des Alpes occidentales,
excluant les pays basques et catalans.
Cet ensemble sera appelé au XIX°s. Occitanie,
reprenant alors des expressions
latines de la fin du XIII°s., « Occitania »
qui désignait la région elle-même, « lingua occitana » qui s’appliquait à la langue dite d’oc, avec ses nombreuses variantes, pratiquée
dans cette vaste région méridionale de la France. Elle se distinguait de la
langue des pays de la couronne, autour de l’Ile de France, en région
septentrionale, que l’on nomma langue d’oïl.
Ces expressions latines avaient été créées pour la rédaction de textes
officiels de cette époque médiévale.
Il faut reconnaître que cette
différenciation des deux zones linguistiques fut plutôt simpliste, avec des extensions
géographiques et des contours mal définis. On a parfois schématiquement établi
une frontière linguistique avec le cours de la Loire…C’était faire fi de toute
la partie est de cette zone
méridionale.
Notre propos n’est pas n’est
d’épiloguer sur ces questions, fort intéressantes au demeurant, mais d’orienter
notre curiosité sur l’origine de ces mots « oc »
et « oil », qui vont
symboliser deux cultures dans notre pays : celle des troubadours et celle des trouvères,
pourrait-on dire. Nous allons vous conter leur histoire philologique.
La distinction linguistique s’est
fondée sur un petit détail…, deux
façons différentes de répondre à une
question par une affirmation, en
français ancien.
Il faut noter qu’une troisième s’était formée,
utilisée surtout à l’Est, notamment sur les versants italiens des Alpes, le « si » qui est demeuré l’affirmation par excellence en italien
moderne, et a subsisté en français, utilisée pour soutenir une affirmation qui
a été contestée : « Si,
vous dis-je ! ». En effet, le latin utilisait parfois l’adverbe
« sic » qui va donner
« si », que nous retrouvons
dans « ainsi ».
Les deux mots oc et oïl dérivent d’une
forme latine d’affirmation, composée du démonstratif neutre hoc (= cela) suivi du verbe qui avait été
utilisé par l’interlocuteur ou du verbe être : hoc est, comme nous pourrions dire « (oui) c’est cela. ».
Le latin préférait plus couramment
reprendre le verbe utilisé par l’interlocuteur :
Ex : cantasne ?
– canto. = Est-ce que tu chantes ? –je
chante. = oui,( je chante).
Cette tournure qui implique l’apparition du
sujet dans la réponse, a perduré en ancien français tout comme en anglais du reste, aujourd’hui:
« Do you read French novels ?-
Yes, I do. »
Dans la zone septentrionale
de la France, la consonne [k] en position finale, donc faible, cesse rapidement
d’être prononcée : elle s’amuït. (H)oc
se réduit à « o » dans la
prononciation. Même phénomène pour « sic »
devenu « si ».
Le vieux démonstratif latin va donc
se placer devant le sujet du verbe qui est repris pour affirmer une idée,
donner une réponse positive, et le plus souvent devant un pronom
personnel : je, tu, il ;
etc. et donner « o je… o tu… o il » etc.= oui,
je, oui tu, oui, il…
La forme o-il, « oil » étant la plus fréquente
finira par se généraliser et se substituer à toutes les personnes de la
conjugaison. Elle se substituera donc à ce qui aurait dû être : « o je, o tu, o nous… » et donner oil je, … oil tu etc..
Achevons notre itinéraire
phonétique.
Les consonnes dites
« liquides » comme le l et
le r, placées en fin de mot…cessent
d’être prononcées aux XIV-XV°s.( songez à nos infinitifs
présents du 1° groupe dont le « r »final
ne se prononce toujours
plus sauf en liaison, et aux
mots coutil, fusil, outil, persil,…Il en était de même pour les verbes en -ir).
Ainsi le l de oil disparaît de la prononciation. Reste alors un
groupe de voyelles « oi » formant diphtongue qui
vont interagir :
La voyelle
« o », sous l’influence du « i » accentué
qui la suit, va s’infléchir en « ou » pour nous donner notre adverbe
moderne d’affirmation oui !, parfois prononcé en
Champagne et en Lorraine, pour plus de facilité, avec une consonne d’appui
(épenthétique) : voui ! Il s’agit là de
l’évolution propre au nord de la France.
Et parce que la langue du
gouvernement finit souvent par devenir la langue officielle de tout un pays,
comme par exemple en Allemagne, le haut-allemand, c’est la forme francilienne
ou septentrionale qui a fini par s’universaliser dans le beau Pays de France,
au détriment de la langue d’oc, qui a magnifiquement et
généreusement consenti à dire définitivement Oui !
Pour vous détendre un peu…
Avant d’entamer notre itinéraire
linguistique, nous avions intentionnellement laissé sur le quai ou « au
quai », l’envahissant « O.K. »
attribué au président Théodore Roosevelt qui signifiait, paraît-il, sa
satisfaction ou ses acceptations par l’expression « All is Korrekt !»
réduite à « O.K. ». Serait-ce lui, le père O.K. ?
Plus sérieusement dit, pour finir, on
signalera qu’il n’y pas de liens entre les deux termes de consonances voisines (pouvant
donner lieu à une belle paronomase !)
: Occitan et Occident, ce dernier mot évoquant la chute, le déclin d’un astre, noblement
appelé par euphémisme le « coucher »
comme pour notre soleil…
Yves Barrême.