En 1989, lors des
festivités liées au bicentenaire de la révolution française, Madame
Margaret Thatcher, invitée officielle, avait fait remarquer, un rien
condescendante, que l’Angleterre avait réalisé sa révolution bien avant la
France et qu’Olivier Cromwell avait fait décapiter le roi Charles 1° Stuart en
1649 , soit près de cent cinquante ans avant que les Français ne guillotinent
Louis XVI. Chronologiquement parlant, elle n’avait pas tort, mais il y a
cependant une différence fondamentale entre les deux révolutions : les Anglais
l’ont faite pour eux-mêmes, tandis que les Français l’ont accomplie pour le
monde. D’ailleurs l’épopée napoléonienne, vouée à l’échec puisque fondée sur la
force et la coercition, avait pour objectif déclaré d’exporter les idéaux de la
révolution à l’ensemble de l’Europe, et c’est bien la révolution française qui,
malgré ses excès, est devenue et reste dans le monde entier la référence
historique en matière de conquête des droits de l’homme, des peuples et de la
démocratie.
Pourquoi les Français
ont-ils donc cette manie de vouloir faire bénéficier à toute la planète ce
qu’ils croient être bons pour eux-mêmes ? Serait-ce par manque d’humilité ?
Serait-ce par complexe de supériorité ? C’est certainement ce que pensent nos
détracteurs. Et pourtant il s’agit bien d’une démarche récurrente pour les
Français - ou plutôt pour les francophones - que de vouloir agir et penser pour
le monde entier, et nous pouvons le vérifier très concrètement encore
aujourd’hui :
Quels sont les évènements
les plus médiatiques du monde ? L’évènement le plus suivi, ce sont sans
conteste les Jeux Olympiques qui ont été pensés et organisés dans leur
forme moderne par le baron Pierre de Coubertin (1863-1937) en 1894.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le siège du C.I.O. (Comité
International Olympique) a été installé en Suisse à Lausanne en zone
francophone (le français est la langue officielle des Jeux Olympiques). Le second
évènement le plus célèbre de la planète est la coupe du monde de
football. Sait-on que c’est aussi un Français qui l’a "inventée"
en 1930 ? C’est en effet le Français Jules Rimet (1873-1956), fondateur et
président durant 33 ans de la F.I.F.A. (Fédération Internationale de Football
Association), qui créa la coupe du monde et celle-ci porta d’ailleurs longtemps
le nom de coupe Jules Rimet (jusqu’en 1970). Le troisième évènement
le plus suivi dans le monde est notre bon vieux Tour de France, gagné
par la mondialisation depuis une trentaine d’années, qui attire chaque été
pendant trois semaines des dizaines, voire des centaines de milliers de
spectateurs à chaque étape sur les routes de l’hexagone (et d’ailleurs), et des
dizaines, voire des centaines de millions de téléspectateurs quotidiens devant
les fenêtres obscures (les étapes du Tour de France sont retransmises par les
télévisions de plus de 190 pays). Même ses turpitudes présentes (par exemple,
les aveux de dopage de l’Américain Lance Armstrong, sept fois vainqueur)
contribuent à en accroître la couverture médiatique internationale ("Trompettes
de la renommée, vous êtes bien mal embouchées" nous susurrerait
Brassens !).
On pourrait ajouter un
autre exemple relatif au sport et assez parlant de cette vision mondialiste
habitée par les Français : La planète Ovalie. Très longtemps
"l’International Rugby Board", la fédération internationale de rugby,
est demeurée un aimable club anglo-saxon où la France ne disposait que d’un
strapontin au milieu des nations anglophones : Angleterre, Pays de Galles,
Ecosse, Irlande, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie… C’est pourtant un
Français, le président de la fédération française de Rugby de l’époque, Alfred
Eluère, qui proposa le premier en 1947 d’organiser une coupe du monde de
rugby, proposition retoquée par les autres nations parce que considérée comme
"farfelue". Et c’est un autre Français, Albert Ferrasse
(1917-2011) qui, dans les années quatre-vingt, profitant de son élection à la
présidence de l’International Board, en reprit l’idée et relança, non sans mal,
la coupe du monde de Rugby dont la première édition s’est déroulée en
1987, et la prochaine en 2019. C’est lui aussi qui exigea la présence de
joueurs de couleur dans les rencontres internationales, y compris dans tel pays
anglophone pratiquant encore l’apartheid.
Rappelons pour mémoire
quelques autres exemples illustrant cette visée universelle :
Le Suisse Romand Henri
Dunant (1828-1910) crée en 1863 une organisation de secours aux blessés de
guerre, déclarée neutre, qui deviendra en 1876 la Croix-Rouge internationale,
première institution supranationale, et rédige la première Convention de
Genève en 1864. Il est également le premier lauréat du Prix Nobel de la
Paix en 1901. Fait unique, le comité international de la Croix-Rouge
recevra ensuite trois autres fois le Prix Nobel de la Paix, en 1917, en
1944 et en 1963.
La S.D.N. (Société
Des Nations), l’ancêtre de l’O.N.U. (Organisation des Nations Unies),
fut installée à Genève après la première guerre mondiale (1919-1939). Les
Etats-Unis refusèrent d’adhérer à La S.D.N. que le président Wilson avait
pourtant appelée de ses vœux. Malgré son échec, celle-ci fut tout de même la
première association des nations établie dans le but d’asseoir un ordre
mondial et d’assurer un espoir de paix universelle. La Suisse et la France
ont été parmi les pays fondateurs les plus actifs de la S.D.N. et le français
en fut logiquement la langue officielle. Le premier président de la S.D.N.,
Léon Bourgeois, fut le lauréat du Prix Nobel de la Paix en 1920.
Le principal rédacteur de
la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948) est le Français René
Cassin (1887-1976). René Cassin fut notamment secondé dans cette tâche par Stéphane
Hessel décédé le 26 février 2013, auteur du fameux Indignez-vous qui
connut un retentissement mondial en 2009 et donna naissance au mouvement des indignés.
René Cassin fut également le premier président de la cour européenne des Droits
de l’Homme de 1965 à 1968, et reçut à ce titre le prix Nobel de la Paix en
1968.
Et comme on ne peut
multiplier les exemples, finissons par les pères fondateurs de l’Europe,
Robert Schuman et Jean Monnet. Leur ambition était de rendre impossible la
guerre entre les pays européens, pourtant ennemis héréditaires qui sortaient à
peine de la seconde guerre mondiale, et on peut dire aujourd’hui qu’ils y sont
parvenus. Robert Schuman (1886-1963) fut à l’initiative de la première
institution européenne, la C.E.C.A. (Communauté Européenne du charbon et
de l’Acier) en 1950 et le premier président du parlement européen de
1958 à 1960. Pourquoi la C.E.C.A. est-elle regardée comme une organisation
pacifique ? Parce que c’est avec du charbon et de l’acier que l’on fabrique
(que l’on fabriquait) les armes lourdes : pièces d’artillerie, véhicules militaires,
navires de guerre, avions de combat... Jean Monnet (1888-1979) est, quant à
lui, à l’origine du Traité de Rome (1957) et la phrase qu’il prononça à
cette occasion est restée célèbre : "nous ne coalisons pas des états,
nous rassemblons des hommes" (l’idée même qu’on puisse raisonner
autrement qu’en termes d’états-nations au niveau international était déjà en
soi révolutionnaire). L’Union Européenne s’est vu remettre le Prix
Nobel de la Paix le 10 décembre 2012 en qualité de "plus grande
institution pacifique jamais créée" (même si l’aventure européenne se
poursuivra désormais sans les Anglais).
Au total, près d’une
trentaine de francophones (Belges, Français, Suisses) ont obtenu directement ou
indirectement le prix Nobel de la Paix, avec une particularité notable : c’est
le plus souvent du fait de leur engagement dans un organisme international, et
non de leur seule action individuelle qu’ils ont été primés, et, à travers eux,
leur organisation reconnue : Bureau International pour la Paix, Institut du
Droit International, Ligue pour la Paix, Office International pour les
Réfugiés, Cour Internationale d’Arbitrage, Ligue des Droits de l’Homme, Europe
du Cœur au Service du Monde, Médecins sans Frontières, Groupe
Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat (GIEC), etc. (vous
voyez bien que les Français sont capables de ne pas se mettre en avant et de
faire preuve d’humilité…). Et c’est à Paris que se tint le premier sommet
des Prix Nobel de la Paix en 2008.
Léopold Sédar Senghor, ancien président de la
république du Sénégal et élu à l’Académie Française en 1983, polyglotte parlant
plusieurs langues africaines (le Sérère, sa langue maternelle, le Malinké,
sa langue paternelle, le Wolof, la langue vernaculaire du pays, mais
aussi plusieurs dialectes mandingues comme le Bambara) qualifiait ainsi la situation de la langue
française dans le monde : « La francophonie, c’est cet humanisme intégral qui se tisse tout autour
de la terre ». Et cette universalité, nous la devons à
notre langue : n’a-t-elle pas été longtemps celle de la diplomatie, avant
que nos dirigeants n’oublient ce qu’ils lui doivent, alors que les
Français ont toujours voulu partager leur langue et, avec elle, leurs
idéaux ?
Alain
SULMON,