Promotion et rayonnement de la langue française.

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La langue de Macron


La langue de Macron

Dans l’article de La Croix du mercredi 4 avril, vous publiez un article intitulé « La langue de Macron et de la macronie ». Globalement je vous remercie et vous félicite pour l’analyse contenue dans cet article car, en effet, les discours de M. Macron, d’une manière générale sont d’un niveau nettement supérieur à ceux de ses deux prédécesseurs  et il est effectivement important, puisque le président de la république est la voix de le France, que celui-ci s’exprime dans un français irréprochable.
Et justement, je m’étonne de votre commentaire sur les anglicismes dans la quatrième colonne de votre article : peu vous chaut, écrivez-vous, dès lors qu’il ne les emploie pas pour s’adresser à la nation  qu’il truffe ses propos de termes ou d’expressions anglo-saxonnes telles que Helpers, process, start-up nation business-friendly ( ?), team-building, bottom up, feed-back,… ( ouf ! n’en jetez plus !  Ces mots sont presque tous soulignés en rouge par mon correcteur d’orthographe !).
Je voudrais vous exprimer mon désaccord avec cette opinion et vous expliquer pourquoi, d’autant que cette invasion de mots anglo-saxons est devenue une véritable plaie dans les modes d’expression écrite et orale, notamment dans les journaux et revues comme La croix (même si notre journal n’en est pas le plus touché) : radios, télévisions, réseaux sociaux, hebdomadaires, quotidiens et revues nous abreuvent d’un véritable déferlement d’anglicismes que vos propos pourraient sembler justifier. Et pourquoi s’y opposer ? Voilà ce que j’aimerais développer.
Observez que vous définissez au moins en partie le monde de la « macronie » par ce langage, ce qui veut dire que vous associez bien ce vocabulaire au monde du président de la république, alors même que, cette sémantique,  vous semblez la marginaliser et la minimiser dans votre article. Ce n’est donc pas sans conséquence que ce microcosme utilise des mots anglais puisque vous le définissez aussi par ce mode d’expression. Ce langage n’est donc pas anodin et, pour cela, il mérite réflexion parce qu’il me gêne.
En premier leu, j’observe que les personnes qui emploient ces anglicismes sont de plus en plus incapables d’utiliser leurs équivalents  en français. Récemment, j’ai interpellé la société Havas Voyage pour sa dénomination de general Planner (non traduite sur ses documents au départ mais exprimés, depuis mon intervention, en français comme organisateurs de voyagesprécédés d’un astérisque) pour désigner ses conseillers en voyages. La réponse obtenue est stupéfiante : on emploie l’anglais pour mieux souligner  la compétence professionnelle des personnes en question ! Est-ce donc que cela signifie pour ces gens que la langue française ne fait pas assez « professionnel » ?  Depuis quand, notre si belle langue ne serait-elle plus capable d’exprimer ce qui est professionnel ? Et faut-il accepter cette rétrogradation de notre langue par des gens incapables de bien l’employer ? Dans un entretien récent accordé à La Croix,  Patrick Grainville récemment élu à l’Académie Française, disait que ces anglicismes étaient en réalité du « chiqué » (sic). Eh bien oui, General Planer, c’est du toc !
Je vous donne un autre exemple : un de mes voisins est en train d’essayer de commercialiser un boîtier informatique (qu’il a appelé évidemment  box) et m’a demandé de l’aider à bâtir unpitch pour illustrer son montage vidéo composé de diapos, qu’il appelle bien sûr des slides. Non seulement, il ne connaissait pas les désignations françaises mais il était incapable de conceptualiser son process (comme vous dites) en français. C’est moi qui ait dû le lui formuler : « dématérialisation du ticket de caisse », titre qui  apparaît maintenant en grand sur son argumentaire (et non pitch employé aussi par ailleurs dans les médias pour désigner un scénario, un résumé,…). Récemment, à la télévision, un acteur bien connu était interrogé par un journaliste qui lui demandait, à propos de son dernier film, comment s’étaient passés les derniers castings. Interloqué, l’acteur en question, a repris la question en la reformulant : il s’agissait des derniers essais ! Observez que le mot casting sera aussi employé pour les sélections, c’est-à-dire les auditions, mais encore on utilisera cet anglicisme pour désigner la distribution des rôles (ce film offre un fabuleux casting !). Casting utilisé indifféremment pour essais, auditions, distribution,… quelle perte de précision et de vocabulaire !
Permettez-moi de faire appel à l’un de vos confrères, Français Cavanna, pourtant peu suspect de franchouillardise, qui a écrit une très belle déclaration d’amour à la langue française dans un livre intitulé Mignonne, allons voir s la rose,… (éditions Fayard) et qui déclare à propos des anglicismes (p.15 ) : « Je n’aime pas que l’on méprise ce que j’aime. C’est mépriser le français que de préférer à ses mots, des mots étrangers, c’est avoir honte de sa propre langue, et donc de ce qu’on est soi-même, que de se gargariser de vocables américains… ».
Vous pourriez arguer que ceux qui refusent cette invasion des anglicismes sont des puristes, des passéistes, des attardés, des ringards (« est ringard quiconque n’a pas la bouche débordante de mots en …ing » écrit Cavanna à la page128 de son livre), mais vous devez aussi savoir que de nombreuses personnes, et bon nombre de vos lecteurs, sont démunis devant ce jargon incompréhensible. Si vous écrivez dans un journal, une revue, si vous parlez à la radio,  à la télévision, n’avez-vous pas à faire l’effort de vous faire comprendre de tous ?  Est-ce si ringard de vouloir stimuler l’esprit d’équipe plutôt que de booster le team-building ? Utiliser un vocabulaire français, c’est un droit, sinon un devoir, car chacun a le droit de comprendre. Ce droit de comprendre a un corollaire : le droit de ne pas comprendre une langue étrangère, que ce soit l’anglais, le serbo-croate ou le patagon. Cette référence constante à une sémantique exogène est également insupportable parce qu’elle exclut toute une partie de la population. Considérer que tout le monde comprend ou doit comprendre ces mots anglais employés sans retenue (et sans même les traduire) est un affront et une blessure portées à cette population que l’on méprise.
Il s trouve que je me débrouille en anglais et que mon épouse parle très correctement cette langue mais il n’empêche que, souvent, nous devons deviner, quelquefois sans succès, la traduction de termes ou expressions anglo-saxons parfaitement abscons. Ainsi en est-il  de  ce  start-up nation business friendly qui nous reste incompréhensibles alors que nous ne faisons pas partie de la classe la moins instruite de la population. Savez-vous pourquoi l’Académie française a été créée au 17° siècle ? Entre autres, pour unifier notre langue dans le temps et dans l’espace et permettre aux générations de se comprendre. Si vous lisez les textes classiques sans difficulté (par exemple ceux de Racine, Molière, Corneille,…), c’est parce que la langue a été fixée à cette époque et que, depuis, elle nous reste accessible. Essayez donc de lire dans le texte les œuvres de Rabelais, pourtant considéré comme le plus grand écrivain français par le Mauricien prix Nobel de Littérature J.M.G. Le Clezio, vous verrez que ce n’est pas facile, parce que Rabelais a écrit avant que la langue n’ait été codifiée. De plus les termes anglais ne correspondent pas  aux sons, aux prononciations, à l’orthographie de notre langue.  Redonnons la parole à Cavanna (p.226) : « Moi qui hais les traditions, car toutes sont stupides et attrape-couillon, je me ferais hacher pour que vive et prospère le français. Justement pas pour la tradition. Mais pour la céleste, l’invraisemblable harmonie de cette langue qui a vraiment eu de la chance de devenir aussi belle, au point de tourner ses erreurs de parcours à son avantage. Mais où est-il donc le peuple béni qui, au long des siècles, a façonné cette merveille ? A-t-il vraiment disparu, et sont-ce ses descendants, ces arrivistes pète-sec, aussi fermés à la véritable beauté que la serrure de leur attaché-case ? » ( ou ajouterais-je que l’écran noir de leur ordinateur portable).
L’inondation d’anglicismes déstructure notre langue et pas seulement du point de vue sémantique. C’est vrai aussi du point de vue syntaxique. Par exemple, l’ordre de mots dans la phrase française n’est pas spontané  et ce n’est pas pour rien que la langue française est considérée comme la langue de la Raison. En voici une illustration : Vous connaissez bien sûr l’OTAN, ou Organisation du traité de l’Atlantique Nord ? Comment dit-on en Anglais ? NATO ou encore North Atlantic Treaty Organization. L’ordre des mots en anglais est exactement inverse à celui du français.
En 1784, l’Académie de Berlin publie les résultats du concours lancé l’année précédente sur le thème : "Qu’est-ce qui a rendu la langue lrançaise universelle". Deux premiers prix ex-æquo sont attribués, l’un à l’Allemand Johan-Christoph Schwab (1743-1821) et l’autre au Français Antoine de Rivarol (1753-1801). Intéressons-nous à un passage tiré de l’exposé d’Antoine de Rivarol et qui concerne les particularités syntaxiques de la langue Française (nous sommes donc en 1784 !) :
"Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et des autres langues modernes, c’est l’ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit être direct et nécessairement clair. Le Français nomme d’abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l’action, et enfin l’objet de cette action: voilà la logique naturelle à tous les hommes ; voilà ce qui constitue le sens commun. Or cet ordre, si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations, qui nomment le premier l’objet qui frappe l’esprit. C’est pourquoi tous les peuples, abandonnant l’ordre direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon que leurs sensations ou l’harmonie des mots l’exigeaient ; et l’inversion a prévalu sur la terre, parce que l’homme est plus impérieusement gouverné par les passions que par la Raison.
La langue française, par un privilège unique, est seule restée fidèle à l’ordre direct, comme si elle était toute Raison, et on a beau par les mouvements les plus variés et toutes les ressources du style, déguiser cet ordre, il faut toujours qu’il existe ; et c’est en vain que les passions nous bouleversent et nous sollicitent de suivre l’ordre des sensations : la syntaxe française est incorruptible. C’est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n’est pas clair n’est pas français. Pour apprendre les langues à inversion, il suffit de connaître les mots et leurs régimes ; pour apprendre le Français, il faut d’abord retenir l’ordonnancement des mots."
Comme le dit Philippe Lalanne-Berdouticq dans son livre Pourquoi parler français ? (éditions Fleurus) : " Tout au long des 17°, 18° et 19° siècles s’avanceront, exprimés en français, la pensée rationnelle et ses fruits scientifiques".
La spécificité de la langue française tient donc au fait qu’en remplacement des déclinaisons, l’ordre des mots complété par les signes de relation entre eux tient lieu de logique : "Les langues germaniques et l’anglo-saxon vont du général au particulier et du tout à la partie, la marche française qui va du particulier au général est celle même de l’esprit scientifique" ajoute Philippe Lalanne-Bertoudicq.
Le seconde différence avec la syntaxe anglaise est donc l’apparition de mots de liaison, ici, les déterminants « du, de, » (Organisation du traité del’Atlantique Nord) qui précisent la relation entre les mots et ces déterminants donnent à la langue française son incomparable précision, en particulier face à l’anglais où il suffit de juxtaposer les mots (dans le sens inverse du français). En voici un autre exemple : Ainsi la résolution 242 de l’Organisation des Nations-unies qui concerne les territoires occupés par Israël en Palestine à la suite de la guerre des six jours en 1967 stipule : "Withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict". Or cette phrase est ambigüe et peut être comprise de deux manières : from territories peut signifier retrait de territoires occupés, c’est à dire d’une partie de ces territoires et c’est bien ce qu’affirment les Israéliens, ou bien retrait des territoires occupés, c’est à dire de la totalité des territoires et c’est évidemment ce que soutiennent les Palestiniens ; en français, une telle imprécision, délibérée ou non, aurait été impossible grâce au simple déterminant "de" ou "des"… et la Paix ne règne toujours pas en Palestine car les Israéliens considèrent avoir satisfait à la résolution 242 en rendant certains territoires tandis que les Palestiniens continuent de réclamer la restitution de tous les territoires occupés… Si la résolution avait été rédigée en français, comme tous les traités internationaux depuis la paix de Nimègue jusque la première guerre mondiale, nous n’en serions peut-être pas là… Il y a donc une vraie utilité et une vraie nécessité à traduire une expression comme start-up nation business-friendly parce que  l’ordonnancement des mots et la nature de leurs relations y feraient apparaître clairement le sens et la logique.
Je pourrais encore développer plusieurs aspects de notre langue mais je préfère en terminer en citant à nouveau Cavanna : (p.16 de son livre ) :« l’anglais est concis, mais imprécis. L’absence de grammaire entraîne l’absence de rigueur ». p.122 « le français, lui, fuit l’ambigüité. La clarté est son souci, fût-ce au prix d’une certaine prolixité ». p.124 : « Ses qualités maîtresses sont la précision et la clarté (ne parlons même pas de sa beauté, c’est sur le terrain de l’efficacité qu’on nous a forcés à nous défendre). Le français est moins bref parce qu’il explique mieux, parce qu’il décrit mieux. Ce n’est pas un gougnafier, il fait le travail bien à fond, il n’y a pas à repasser derrière ».
Alors, chère Madame, je vous en supplie, faites en sorte que nous ne soyons pas obligés de repasser derrière certains passages de vos articles pour en comprendre les anglicismes même plus traduits.

Bien à vous,
Alain Sulmon