En
français, toutes les voix du monde (2)
Après le continent américain, tournons-nous maintenant vers l’Asie, et
plus précisément pour ce qui concerne le présent article vers l’Extrême-Orient
(le Proche-Orient donneront lieu à un autre article). Pourrait-il vraiment y
avoir dans ces vastes régions du monde où le français n’est pas une langue
officielle, ni même une langue vernaculaire, des écrivains de langue
française ? Il en est beaucoup !
Nous avons vu dans un article précédent que le premier écrivain d’origine
chinoise, Gao Xingjiang, à obtenir le Prix Nobel en 2000, était passé
par la langue française, et c’est bien sûr un grand honneur pour notre culture
que d’avoir été le vecteur de l’éclosion et de la reconnaissance de son talent.
Dans son discours de réception du Prix Nobel, Gao Xingjiang compare les langues
chinoise et française : « Les
structures des deux langues sont tellement différentes. La phrase chinoise est
très hachée. Quatre mots suffisent amplement à faire une phrase. … En français,
les phrases sont tellement longues et enchaînées. La musicalité de la langue dépend beaucoup de cet enchaînement
syllabique, des allitérations, tandis qu’en chinois c’est une question de
tonalité. Il n’y a guère de correspondance ». Imagine-t-on un auteur
français obtenir le prix Nobel grâce à ses écrits en chinois ? Mais,
penserez-vous, peut-être s’agit-il d’un cas isolé ? Eh bien, certainement
pas : le chinois d’origine François Cheng (naturalisé français en
1971) a été élu à l’académie française en 2003 « le français comporte une exigence de
cohérence, de précision et de nuance qui m’a permis de clarifier et d’affiner
ma pensée ». (Le Dialogue. Une
passion pour la langue française). Citons encore Dai Sijie (Trois
vies chinoises) qui déclare écrire en français car « c’est
simplement la meilleure langue pour écrire des histoires ». Et il est
bien d’autres auteurs : Dong Qiang
qui a reçu en 2013 le Grande Médaille de la Francophonie par l’Académie
Française, Chen Jitong, les romancières
Ying Chen (Un enfant à ma porte paru aux éditions du Seuil) et Shan Sa (Le joueur de go chez Grasset), etc.
De même, un autre grand pays de l’Extrême-Orient pourtant apparemment
bien éloigné géographiquement et culturellement de notre littérature, le Japon,
apporte aussi sa contribution à la fécondité à la langue française dans le
monde grâce un certain nombre d’écrivains : Ainsi Aki Shimasaki (Zakuro
paru chez Actes Sud) : « j’ai été fascinée par la langue française à
travers Agota Kristof (ndlr : romancière hongroise qui a écrit ses
romans en français et qui vécut longtemps à Neuchâtel en Suisse), par son
style si simple et si limpide, alors j’ai décidé d’écrire directement en
français » ; ou encore Akira Mizubayashi,
qui enseigne le français à l'université de Tokyo et rédige ses livres en
français, dont Une langue venue d'ailleurs (chez Gallimard). Il
vient juste de publier Un amour de mille ans (Gallimard) : « Sen-nen, de son côté, parla à Mathilde de sa
passion pour le français qu'il s'efforçait de maîtriser, mais aussi pour
certains monuments littéraires que cette langue avait produits. Le français
était pour lui la langue de l'amitié et de l'épanchement alors que la langue
qui se parlait en lui était la langue de la retenue, de la soumission, du
respect imposé. L'effort d'appropriation du français était donc un
affranchissement, une expérience de la liberté qui lui permettait de
vivre autrement son rapport à l'autre, au monde, de s'arracher au
moule de sa langue et des codes culturels qu'elle véhiculait. Le français,
concluait-il, était un instrument de musique qu'il voulait faire chanter. »
Citons encore Junji Fuseya, Ninomiya Masayuki, Hisahi Okuyamo, etc.
Sans nous attarder sur
d’autres pays de l‘Asie lointaine, mentionnons également les écrivains indiens Kichennemasamy Madavane ou la
romancière Shumona Sinha qui déclare
que son pays n’est ni l’Inde, ni la France, mais la langue française. On peut
également évoquer les écrivaines d’origine coréenne Laure Mi Hyun Crozet et tibétaine Tenzin Wangmo qui vivent actuellement toutes les deux en Suisse.
Et on ne peut cependant
pas clore cet article sans parler des écrivains vietnamiens qui représentent un
cas particulier puisqu’ils ont été en contact avec le français par la voie de
la colonisation : Phan Van Ky
(grand Prix de l’Académie Française en 1961 pour Perdre la demeure), Linda Lê
(Prix Renaudot du livre de poche en 2011 pour A l’enfant que je n’aurai pas), Nguyêng Xûan Hùng, Sabine
Huynh, etc. Couronnée en 2017 du prix Littérature-Monde à Saint Malo, Anna Moï s’était insurgée dès 2005 contre
la distinction entre « écrivains français » et « écrivains
francophones » ; interrogée récemment par un journaliste sur son
choix d’écrire dans notre langue alors qu’elle est polyglotte : « Pourquoi écrivez-vous dans la langue du
colonisateur ? », elle
apporte une réponse cinglante : « Je
n’écris pas dans la langue du colonisateur, j’écris en français ! ».
A la fin de ce second
article, nous commençons sans doute à mieux apercevoir la réalité de la
francophonie mondiale. Comme nous le dit Lydie
moudileno, professeur de littérature française à l’université américaine de
Berkeley : « Nous avons sauvé l’étude
de la littérature française dans les universités américaines grâce à la
littérature francophone qui, pour nous, raconte le monde ». Cette
littérature francophone du monde prend encore une autre ampleur au Proche-Orient,
où l’on pourrait peut-être même parler d’une « francophonie latente » ; elle fera l’objet de notre
troisième et prochain article.
Alain SULMON
Délégation du Gard
Publié sur Site DLF GARD le 3/12/17
Publié sur la revue DLF N° 266 4° trim 2017