Promotion et rayonnement de la langue française.

Maintenir la qualité de notre langue, sans laxisme ni purisme.

Dur-à-cuire


                           Pour les durs-à-cuire, Pas pour les coquins !

C’est toujours avec grand plaisir que je viens vous rejoindre pour partager un des secrets que l’on a su me faire découvrir « du temps que j’étais jeune »… Mais il n’est pas certain que je sache vraiment vous faire goûter une part des trésors de notre belle langue et de son histoire, belle mais qui exige mille précautions pour être approchée, pénétrée. Mais vous avez un corps professoral qui ne demandera pas mieux à petit feu, que de rendre ces articles moins « indigestes », moins durs ou moins coriaces, mais sans les édulcorer, les ramollir…

Car figurez-vous qu’autrefois déjà, afin de ramollir ce qui était trop « coriace » ou trop dur à digérer, on le faisait cuire .On employait ce verbe  y compris pour parler du travail effectué par l’estomac ! Montaigne emploie au XVI° siècle ce verbe quand il conseille au pédagogue de vérifier que l’élève qui récite sa leçon a bien assimilé, a bien compris ce qu’il avait appris, sans doute par cœur, et cela en le lui faisant appliquer en cent exercices différents… ! L’auteur de la tête bien faite plutôt que bien pleine ne faisait pas de cadeaux aux pauvres élèves ! Et dans un style bien imagé, il affirme : « C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger (= rendre ou vomir) la viande (= nourriture, vivres) comme on l’a avalée ; l’estomac n’a pas fait son opération s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire ».

Ce verbe cuire qui vient plusieurs fois par jour sur les lèvres de ceux qui préparent nos repas, a engendré tout un vocabulaire, pas seulement en France, qui cache bien ses racines à nos yeux comme à nos oreilles.  Il nous vient du latin dont les formes sont à connaître pour mieux identifier certains dérivés modernes :
 coquo, coquis, coxi, coquere, coctum : cuire, faire cuire, brûler, fondre ; mûrir, faire mûrir ; digérer. Ce verbe avait déjà le sens figuré de méditer, mûrir un projet. On peut évoquer aussi le mot « coquina » = la cuisine, ; l’art du cuisinier.   « coquus » = le cuisinier.

Vous avez déjà dépisté l’origine de :
-L’œuf à la coque = qui a été cuit (légèrement) ;    -le maître-queux = maître « coquus », donc maître-cuisinier, d’abord sur un navire, puis aujourd’hui, pour désigner un grand chef cuisinier, par opposition au cuistot ou au cuistre pour désigner un cuisinier « quelconque » ou sans talent, et même au sens figuré, un incapable ! Alors ne soyez pas des cuistres de la composition française !
- Le coquin  tirerait peut-être aussi son origine de cette appellation appliquée au mauvais garçon de cuisine ou cuisinier… On n’en est pas certain.
- Une décoction est une tisane où l’on a prolongé la cuisson pour réduire et concentrer le produit obtenu.
- Concocter : faire cuire ensemble ; par suite, préparer un mélange.
- Quant à ceux qui se prennent une cuite lors de soirée bien arrosées, l’expression viendrait du fait que l’alcool réchauffe et que le « buveur ainsi chauffe son  four ».
- Plus cachés, nous retrouvons la charcuterie, faite de chair cuite et donc le charcutier. La quiche toujours lorraine ! les flammekueches (avec une dérivation germanique du verbe cuire) bien alsaciennes,  les biscuits, les biscottes…

Il nous faut signaler que le rayonnement de la cuisine française s’est étendu dans les pays de langues germaniques  saxonnes et slaves…  au point d’y avoir introduit chez les Anglais le mot Cook, verbe et nom , en allemand der Koch, le cuisinier, kochen = cuire ;die Küche = la cuisine ( cf. flammküche) et en polonais kuchnia = la cuisine, kucharzyc cuisiner, en russe… on s’arrêtera là ! Tout en reconnaissant que les Italiens se sont emparés avant nous du latin coquina avec cucinare= cuisiner ;  attention : torchiare (respecter la bonne prononciation !) : faire de la mauvaise cuisine ;  cuocere : cuire. Mais tout de même,  la cuisine à la française ou à la gallo-romaine s’est révélée importante et enviable dans toute l’Europe ! Une dernière indication : le participe passé latin coquus désigne ce qui est mûr, comme un fruit qui alors est moins dur, plus agréable à manger. Certains fruits qui mûrissent de bonne heure sont dits « précoces ». Et un fruit, originaire de Chine, apparu sur les rivages méditerranéens dans l’Antiquité est appelé « abricot », car mûr avant les autres fruits. La latin « prae-coquum » va parcourir un long voyage, par la Grèce, puis être transporté par les Arabes jusqu’en Espagne en lui donnant une forme arabisée (article al-) al barqouq que les Espagnols transformèrent en albaricoque, les Portugais en albricoque…, puis en français abricot.

On s’en tiendra là : je vois que vous êtes cuits même si vous ne m’avez pas tellement cru ! Car cru désigne aussi ce qui n’est pas cuit



                                                                                                                                                  Yves Barrême