« Seriez-vous assez gentil de me faire
connaître… »
Enfant,
j’entendais parfois parler de saint Paul comme de l’apôtre des gentils. Vu les qualificatifs que l’on
employait souvent pour désigner mes comportements, je pensais que les
enseignements dudit saint ne pouvaient me concerner… !
En
effet, ce mot est pour le moins ambivalent !
Le
mot « gentil » est d’abord employé aujourd’hui comme adjectif
qualificatif pour caractériser, un comportement marquant la docilité, la
complaisance, l’affabilité… Il a été par ailleurs utilisé comme nom commun,
pour désigner, des populations situées hors de la cité romaine …, à qui on ne
prêtait pas forcément des mœurs civilisées, celles, raffinées, des citoyens (cives) romains. (< paganum = « paysan », nous donne le mot païen ; de pagus, village, pays)
Curieusement, gentil désigna par la suite dans les
territoires occupés par les troupes romaines, les personnes qui n’appartenaient
pas à l’armée romaine, les « non-soldats », en quelque sorte, les « civils » !
Et comme les
premiers chrétiens se considérèrent vers le III° s. comme des soldats du Christ,,
le terme « gentil » désigna
par analogie ceux qui n’en étaient pas, avec par la suite quelques teintes
discriminatoires, parfois même un peu hostiles !
Déjà dans la
langue des Romains, le terme « gentilis »
n’était pas sans quelque résonance péjorative peut-être un peu comme dans la
bouche de Parisiens des années 50 à l’endroit de non-Parisiens traînant pour
démarrer à un feu rouge… qui s’entendaient traiter de « paysan ! »,
vocable sans équivoque sur sa teneur en mépris !
En cela, les Latins
imitaient leurs « cousins » grecs qui dédaignaient les étrangers incapables de parler le grec
correctement, ceux qui « trébuchaient » en le balbutiant,
voire en bégayant à l’instar des tout petits, ce qui valut à des personnes nées
non-grecques, le vocable de « barbaroi, »,
onomatopée éloquente sur le dédain alors exprimé !
C’est pourquoi
on est en droit de se surprendre à voir qu’un terme à résonance plutôt
péjorative puisse dans d’autres contextes, revêtir également une coloration
flatteuse
Une
fois de plus, l’étymologie va nous éclairer.
Effectivement,
le nom latin gens,( gentis, gente), mot féminin, provient d’une racine
indo-européenne « gen, ken… » qui désigne ce qui
est engendré, comme l’enfant, ( cf. das Kind, en allemand, kid, en anglais),
comme une idée ( génie…) etc.
Gens désigne
une race, une souche , comme on parle parfois d’Allemands ou de Français de
souche . Il désigne aussi l’ensemble de ceux qui portent le même nom, qui
appartiennent à une même famille, souvent
noble ou bien qui appartiennent à une même corporation. (Cf. l’expression « ma payse » employée parfois encore dans le Midi, pour désigner
une cousine)
Il est à noter
que l’appartenance à une corporation a souvent désigné un ensemble d’hommes.
C’est peut-être ce qui pourrait expliquer que le mot soit passé non pas au
neutre mais au masculin, même si le féminin s’impose encore au pluriel : « les bonnes gens »
Les formes latines
utilisées selon les fonctions du mot dans la phrase (déclinaison), expliquent
que l’on ait eu deux orthographes :
-
-gens,
pour désigner un groupe plus ou moins défini de personnes ex : les ou ces gens vont au marché de
Noël Le terme est effectivement
ressenti ici comme étant masculin.
ou
-gent(e) comme chez notre grand La Fontaine, dans Le Chat et un vieux Rat :
« La gent trotte-menu ( = les souris) s’en vient chercher sa
perte »…(La Fontaine, volontiers
archaïsant, a conservé le féminin.)
On dit encore
aujourd’hui dans un style un peu recherché « la gente féminine », conservant alors le sens d’une
appartenance à un groupe.
Mais on
désigne bien l’appartenance à une corporation comme dans l’expression « gens de maison » (= l’ensemble des domestiques) ou bien les « gens d’armes » que l’on
écrit aujourd’hui en un mot. Le mot est ressenti comme un masculin.
L’adjectif latin
« gentilis », sous la forme
« gentile » désignait des
personnes qui appartenaient à une même famille, une même souche, plutôt de
bonne condition, de bonne race. Il s’est appliqué à des personnes nobles et généreuses, comme les désigna
par la suite Corneille dans le Cid, à
des « âmes bien nées ».
On retrouve cette
valeur dans le « gentil homme » le gentleman anglais (heureuse époque où
le français faisait référence !), caractérisant d’abord une personne au
cœur noble et généreux, faisant preuve de bravoure, de courage.
Longtemps
écrit en deux mots, (avant l’ « enclise » actuelle) ce terme a
conservé du fait de la prononciation antérieure, en plus de la marque du
pluriel en fin de mot, l’accord au pluriel, à l’intérieur de la graphie moderne
en un seul mot, alors que « gen(s)d’armes » ne prend qu’une seule
marque de pluriel, celle de la finale :
Un gentilhomme, des gentilshommes.
Un gendarme ; des gendarmes
.
Le nom gent
est devenu adjectif qualificatif flatteur dès le Moyen Age. On s’adressait respectueusement
à une jolie dame par l’expression « Gente
Dame ». On admirait une gente
maison… Le mot était alors venu concurrencer l’adjectif gentil plus proche de la forme latine
« gentile » pour se rattacher davantage à l’idée de beauté.
Sous
l’influence de la littérature courtoise, l’adjectif gentil s’est
progressivement départi du seul registre de la bravoure et du courage pour
s’appliquer désormais à des comportements caractérisés par la noblesse d’âme,
la douceur, la délicatesse, la
déférence, caractérisés par des mœurs ‘polies’
ou policées pratiquées la « court »,
la courtoisie du chevalier servant. Ce dernier savait
ainsi conquérir sa gente et noble Dame,
(en latin domina) celle qui dominait
son cœur et déjà régnait sur lui, qu’il séduisait en faisant preuve de
bravoure, d’humilité et de doulce complaisance…
Ainsi, comme souvent,
la gentille
histoire d’une famille de mots issue d’une lointaine racine fait apparaître
une multitude de bourgeonnements sémantiques dont les portées ont pu avec le
temps friser la contradiction. Il convient alors d’en retrouver le récit, (
même comme ici, incomplet hélas), afin de satisfaire notre soif bien
aristotélicienne de « non-contradiction », notre besoin de clarté que
satisfait habituellement le génie
de notre belle langue française.
Yves. Barrême