Nous
le savons, la Défense de notre Langue Française ne se justifie aucunement
par des motivations purement conservatrices ou xénophobes (à prendre dans son vrai sens). Notre souci demeure
celui de préserver pour l’humanité un trésor culturel irremplaçable à
l’encontre d’une véritable anglomanie linguistique violente et artificielle,
difficile à prononcer, souvent inutile et confuse, qui tendrait à imposer un
langage universel, sorte de moyenne proportionnelle linguistique prétendument accessible au commun des mortels de notre
monde…
Chimère
que cette espérance : par nature, une moyenne proportionnelle ne flotte
jamais dans des sommets…
Maintenant,
vouloir sauvegarder un trésor n’exclut absolument pas la possibilité de
l’accroître, de l’enrichir par des emprunts. Inventer des frontières
linguistiques et s’opposer à tout réel enrichissement serait contraire à la
raison, par nature tournée vers le bien et le progrès. Une langue évolue
toujours naturellement, donc sans heurt, à travers les siècles, au cours de
rencontres de cultures et de civilisations différentes.
Au
cours des âges, notre nation s’est constituée d’apports ethniques variés. Sans
vouloir remonter à la nuit des temps, nous pouvons dire que ce qui est devenu
la langue française s’est construit sur un socle primitif à dominante celtique
dont il nous reste peu de choses, il faut le reconnaître. Que s’est-il
passé ?
Sur
ces fondations primitives, progressivement se sont introduits des moyens de
communication, oraux et écrits de plus en plus élaborés, qui ont constitué de
véritables enrichissements. L’apport des Latins fut considérable, eux-mêmes
héritiers notamment de la civilisation hellénique. Puis La Gaule romanisée
connut l’apport germanique des Francs, puis des Normands, etc. Certes, de cette
longue et lente construction, on ne perçoit plus guère les premières
fondations. Quelques traces celtiques en topographie… Penne(s), Limagne, le Clap, Garrigues, et dans le vocabulaire
agraire (berge, braie, brailles…)
subsistent, peu nombreuses.
Ces
apports ethniques ne se sont pas toujours effectués de manière très pacifique,
il est vrai. Mais au cours de ces « invasions » violentes, on
constate que chacune de ces grandes périodes a laissé des traces durables dans les
domaines sémantique et topographique notamment.
Si
l’on voulait faire simple, sans trop trahir la complexité des
« lois » sociologiques de l’évolution linguistique, on pourrait reconnaître
que lors des mélanges de populations, le
domaine culturel le plus avancé
d’une civilisation introduit naturellement son vocabulaire, celui de ses mœurs,
de ses « savoir-faire », même de ses noms propres (Louis, Albert, Raoul, Robert…) Ainsi, dans le gallo-roman se
sont introduits des centaines de racines germaniques… Oui, « Si vous broyez
du noir en gardant le jardin de l’auberge… », vous
marchez sur des « plates-bandes »… franques !
On
pourrait étendre indéfiniment nos investigations, évoquer d’autres contacts
culturels comme celui que permit notamment la période des croisades, ou les
échanges entre savants, philosophes…par exemple. Nécessité et commodité ont
souvent présidé à l’assimilation de ces apports qui furent de véritables enrichissements, comme en mathématiques
et en sciences avec des termes arabes. Les populations de tribus venues
d’ailleurs, dont il convient, du reste, de ne pas majorer le nombre, nous ont
apporté avec les techniques dans lesquelles elles excellaient, les termes qui
les désignaient. Mais dans ce cas, il ne s’agissait pas alors de sacrifier aux
modes du moment…
Certes,
ce que nous nommons aujourd’hui « snobisme », n’est pas d’hier… même
s’il y lieu de nuancer
En effet, les
humanistes de la Renaissance française se sont plu à
« re-latiniser », à « italianiser »… Un certain groupe de
poètes de la seconde moitié du XVI° siècle s’est d’abord appelé la « Brigade »
(terme emprunté à l’italien) dans son admiration pour les
auteurs de l’Antiquité grecque et latine, d’une part, et pour la littérature et
l’art italiens, d’autre part. Revenant à plus de simplicité, ces mêmes poètes
adoptèrent ensuite au lieu de « brigade »,
terme « militaire, adapté à la Défense de la langue française, mais
assurément moins « célestement » poétique que La Pléiade…
Hormis
les milieux scientifiques qui recoururent au latin pour leurs échanges, aux
XVII° et XVIII° siècles, la mode du français inonda la haute société de
l’Europe. C’était l’époque où l’on admirait, par conséquent, reconnaissait
l’existence d’une culture française avec sa richesse et son unicité !
Maîtriser la langue française honorait celui qui pouvait s’en réclamer… La
princesse allemande qui devint Catherine II de Russie, parlait couramment
français. Même Frédéric II de Prusse voulut s’offrir, afin de mieux posséder
notre langue, les services d’un de nos meilleurs écrivains, Voltaire… Rivarol,
originaire de Bagnols/Cèze, remporta le Prix de l’académie de Berlin avec son Discours sur l’universalité de la langue
française (1784). Beaucoup de termes français avaient envahi la langue
allemande. L’arrivée des expatriés de la Révocation de l’Edit de Nantes y avaient
contribué sans doute aussi pour une part importante à cette
« francisation » de la langue allemande.
Par cet
engouement, c’était tout même afficher un injuste mépris à l’égard des cultures,
germaniques, slaves, surtout polonaise et russe.
Outre-Rhin,
au XVIII° s. un incontestable génie littéraire monta alors au créneau pour la
défense … de la langue allemande : Goethe. Il proposa, comme nous nous efforçons de le
faire, un retour aux sources, restaurant tout un vocabulaire conforme au génie
germanique, de ce fait, plus compréhensible par le peuple allemand. Le
romantisme allemand avant le romantisme français put prendre son essor, lancer
son propre mouvement des Lumières (Aufklärung) et offrir au monde ses trésors.
Pour
en revenir au français, force est de reconnaître qu’avec le temps, que selon
les lieux, le fonds gallo-roman mêlé de francique s’est diversifié pour donner
plusieurs langues (d’oc et d’oïl, le provençal) plusieurs dialectes, de
nombreux patois, des langages propres à des métiers, à des corporations, des
« argots »…
Un
coup de frein sérieux a été donné à cette diversification à l’époque des Temps
modernes. L’imprimerie exerça déjà une grande influence en faveur d’une
« réunification » linguistique. Puis comme dans d’autres zones
linguistiques, dans l’Empire germanique par exemple, la langue du gouvernement
devint langue officielle… : le « hoch Deutsch ». L’Edit de
Villers-Cotterêts amorça un freinage notoire à l’époque du moyen-français. Et
surtout, nos grands poètes de la fin du XVI°s. contribuèrent pour beaucoup à
une stabilisation de notre langue, au détriment, certes, des cultures méridionales.
Un besoin se fit alors sentir de fixer les structures à la fois sémantiques et
grammaticales du français, témoin la création en 1635 de l’Académie française…
Apparurent des grammairiens (Vaugelas…) des dictionnaires (Académie,
Furetière…). Ce fut l’époque des « règles », non seulement en grammaire
et en syntaxe, mais aussi dans les genres littéraires… Cela devait entraîner ultérieurement
une certaine « Querelle » des Anciens et des Modernes… Fallait-il
sempiternellement se conformer à ces règles, s’y enfermer, pour créer de la
beauté ?...
Nous devons également
citer le rôle très important joué par la multiplication des petites écoles. Dès
la fin du XVII°s., par des édits (1696 et de 1698), Louis XIV rendit l’école
obligatoire, pour enrayer une pesante délinquance juvénile et former de bons
artisans, dans les villes principalement, en demandant à l’Eglise d’y
pourvoir dans le mesure de ses possibilités! A la fin du XVIII°s., sous le
règne de Louis XVI déjà, puis, lors de la Révolution, les gouvernements successifs
s’attelèrent à l’expansion de l’instruction (Condorcet, Lakanal…) sur tout le
territoire. Après la période agitée du début du XIX°s. de nombreuses petites
congrégations religieuses enseignantes, souvent diocésaines, multiplièrent les
petites écoles surtout dans les campagnes. Au cœur des programmes figurait
l’apprentissage du français, celui de Paris…
Jules Ferry porta le coup fatal à la
diversification dialectale, par la création de l’école gratuite, laïque et
obligatoire (1880-81). Il fallut plus d’un siècle pour voir s’éteindre progressivement
nos dialectes locaux devenus moribonds… L’unification linguistique était
réalisée, non sans regrets, il est vrai, mais réalisée en douceur.
Mais
parallèlement à cette unification, avec ses assises solides, la contribution
des grands écrivains, le rôle de notre Académie française, notre langue
continue à s’édifier, à s’enrichir.
En effet, les
progrès des sciences et des techniques nous imposent en permanence le recours à
de nouvelles appellations bien
contrôlées. Il se fait que bien souvent, les plus claires désignations même
au niveau international, sont celles qui utilisent les racines grecques ou
latines. Mais les nouvelles dénominations peuvent aussi emprunter d’autres
voies, porter des noms d’inventeurs, (un rigolot
est un produit pharmaceutique…) donc être éponymes, acronymes (Delko, radar,
laser, etc.). Certains concepts conçus outre atlantique, désignent des
situations ou des réalités nouvelles, comme le « dumping », le
« new deal », les « trusts » ou bien outre Manche comme
dans le domaine sportif (foot, rugby, corner...). Avec le temps, ils ont pris
leur place, sans se substituer à des termes « indigènes »
Toutefois, il
n’est pas certain que ces termes relevant de la nouvelle économie soient toujours
bien compris du public…qu’ils aient été vraiment assimilés et bien saisis tout
comme la plupart des anglicismes qui envahissent nos media. Le mot anglais « trust »
dont la racine germanique implique la foi, la fidélité, la confiance (cf. treu en allemand) donne en anglais le
verbe to trust = faire confiance, se fier à… En français est apparu le néologisme
« truster » qui signifie
tout de même s’emparer de, avec tout
ce que cela peut receler d’intentions peu droites ! Comment s’y retrouver ?
Il nous faut
tout de même conclure ce trop rapide, donc incomplet parcours historique. S’impose un
constat, semble-t-il :
toutes les
assimilations linguistiques réussies ne se sont pas produites du jour au
lendemain. Elles se sont réalisées naturellement
au cours des siècles, lorsqu’elles ont répondu à des nécessités, mais aussi lorsqu’elles se sont réalisées en cohérence
avec le génie d’une langue, le nôtre en l’occurrence qui, cartésien, ou plutôt aristotélicien,
admet difficilement qu’un terme puisse signifier une chose et son contraire,
comme sophistiqué qui en français, signifie frelaté, faussé, affecté, donc trompeur, puisse signifier en même temps, à
l’américaine, « perfectionné »…
Alors, qu’est-ce qu’un avion sophistiqué ? …
Il faut donc du temps pour que des concepts
étrangers soient assimilés, « com-pris »
dans une culture différente. Donc si l’assimilation demeure indispensable à un
progrès constant, à une saine et heureuse évolution, il s’agit d’un procédé délicat
à manier avec précaution, sans précipitation en sorte que l’on continue à
s’entendre pacifiquement, loin de tout méprisable flou artistique d’une
certaine langue de bois sophistiquée.
Evolution sage et enrichissante, oui, mais pas d’invasion « bull
dozer », pour nous Français, sans racines et sans âme, forcément source de « désolation »,
donc désolante, destructrice et appauvrissante.
Yves Barrême