Si le Français m’était
conté
Par Yves Barrême
Les influences
étrangères multiples qui ont façonné notre langue
Vouloir
défendre le trésor incomparable que constitue la langue française ne saurait
consister à instaurer une sorte de rideau
de fer intellectuel… Notre langue, tout au long des siècles, s’est naturellement
enrichie de termes d’origine étrangère qu’elle a assimilés, intégrés, francisés, avec toutes les déformations
populaires provenant peut-être en partie du peu d’aptitudes des Français à
prononcer correctement les termes étrangers… !
En
songeant aux origines du français, nous pensons surtout au latin, au grec, aux
langues germano-anglo-saxonnes… et nous oublions que la langue arabe nous a
fourni un bel ensemble de termes désormais habillés à la française ! Les conducteurs de mehara ont été appelés méhar-istes, substantif qui illustre bien ce
phénomène d’intégration linguistique intelligente.
Notre
histoire reste marquée par de longues périodes de contact, pas toujours
pacifiques certes, mais réelles, avec le monde musulman. On pense sans doute
que 732, à Poitiers, a mis fin à la présence en France des Arabes… Les collines
des Maures, dans le sud de notre pays, rappellent une présence qui perdura
plusieurs siècles, comme dans d’autres régions méditerranéennes : la
Sicile, l’Espagne, l’Italie méridionale, pays qui contribuèrent à introduire
dans la langue française des termes désignant des réalités que nos aïeux
ignoraient alors. Il faudrait aussi rappeler, pour expliquer ces nombreuses
« intrusions », les échanges culturels qui existèrent au Moyen Age,
avec l’Espagne (Cordoue), puis ceux qui se sont établis ultérieurement notamment
lors des croisades et de la colonisation.
Aujourd’hui,
dans un magasin, (en arabe =
entrepôt) nous pouvons acheter bien sûr un magazine
(terme à signification déformée par
son passage en Angleterre…), une jupe (djoubba),
des savates( ?), des bougies .
Ces chandelles étaient constituées en cire élaborée à Bougie (Bejaia, en Algérie,
pays où se situe la ville d’Alger, < Al Djaza’ir ayant d’abord désigné les îles qui se trouvaient
devant l’actuelle ville d’Alger)…
Notre
science moderne a conservé tout un héritage venu des savants arabes du IX°s.
En effet, après une longue période
de conquête, tant vers l’Occident (Maghreb
, comme occident signifie le Couchant)
que vers l’Asie, y compris l’Inde, à la fin du VIII° survinrent des dirigeants que
l’on dirait à la française « éclairés » et qui constituèrent des
centres d’érudition, rassemblant bon nombre d’intellectuels originaires de tout
le Moyen-Orient. Parmi eux figurèrent des chrétiens, Syriens et Coptes, qui
surent traduire en arabe les œuvres des philosophes et mathématiciens grecs.
Par eux fut ouvert aux intellectuels arabes, le monde de la logique
aristotélicienne…
Un Calife ( = vicaire) de Bagdad, Al
Mamoun, (809-933) voulut créer une sorte de « Maison de la Sagesse »,
(ancêtre de nos maisons de la « culture » ... ?)
dans le souvenir de ce que fut la ville d’Alexandrie avant le terrible l’incendie
qui ravagea sa célèbre bibliothèque. Ce centre avait rayonné dans tout le monde
méditerranéen de culture hellénistique. Archimède, Euclide, y avaient séjourné
tout comme ultérieurement, certains Pères de l’Eglise (Origène…). Environ 700
000 parchemins furent détruits lors de cet incendie.
Parmi les
savants mathématiciens, qui travaillèrent à Bagdad, on trouve un certain
Abu
Jafar Muhammad ibn-Moussa Al-Khwarizmi (une vraie fiche d’état civil… !)
Ce
mathématicien produisit au moins deux traités de mathématiques.
D’abord, délaissant
les nombreux symboles pratiqués par les Arabes, il reprit le système de
numérotation des Hindous… qui avaient inventé le zéro, ce qui se dit en arabe… SIFR ! A noter en passant que ce que nous nommons chiffres arabes sont en réalité des
chiffres d’origine hindoue ! Il n’est qu’à remarquer le contenu des
plaques d’immatriculation de véhicules en provenance d’Afrique du nord pour
découvrir que lesdits « chiffres arabes » ne s’apparentent guère aux signes
à ceux qui sont utilisés par les Arabes !
Nous sommes
redevables à Al Khwarizmi de tout un ouvrage (Livre sur la restauration et les confrontations) où Al
jabr désigne certaines manipulations réalisée sur des équations… :
nous en avons fait l’algèbre que d’aucuns ont parfois
traduit faussement par cauchemar… !
Le
nom de ce mathématicien, Al khwarizmi, nous est parvenu par des savants méditerranéens
qui le transformèrent en algorismi, qui donna en France le
terme… algorithme, mot qui n’a rien d’hellénique ! Il ne provient
pas du grec algo =le mal, la douleur…
et de rythmos qui désigne un mouvement régulier… !
On pourrait
retrouver bien d’autres termes se rapportant aux sciences, particulièrement en
« Chimie » ! Ce dernier , de racine égyptienne antique
(chame ( = noir)
à
cause peut-être de la terre noire que l’on trouve toujours dans la vallée du
Nil. Curieusement, figurent en grec des
mots assez voisins : chymeia =
mélange liquide, chymos = mélange
liquide (cf. « ecchymose); chemeia
= magie noire.
De la chimie, nous avons retenu l’alcool
(al kohol = antimoine
pulvérisé ; stupéfiant), l’alcali,
l’alambique (al ambiq = vase)… L’aldéhyde
est un croisé d’arabe (al) et de
gréco-latin (-déhyde)…
Nous
remarquons que beaucoup de ces termes commencent par l’article défini al. On le
retrouve dans d’autres domaines . Aujourd’hui, le fantassin utilise une alidade de visée pour lancer une
grenade avec son fusil; en Espagne, on visite l’Alhambra (= le palais); souvent, on se plaît à écouter des
bruits d’alcôve… (chambrette)
Mais tous nos
termes d’origine arabe ne sont pas pourvus de cet article défini ! Pour en
savoir davantage, on peut se référer au dictionnaire de Jean Pruvost : Nos ancêtres les Arabes…que nous signale
élégamment le dernier numéro de la revue Défense de la langue française. Maintenant, ne pensons pas que les tous les mots commençant par AL
sont d’origine arabe : Saint Albert ( adalbert où adal, adel = noble et berht = célèbre) est bien au XIII°s. un
moine dominicain de la vallée du Rhin !
Concluons en
remarquant que tous les termes que nous avons rencontrés, comme bien d’autres
constituent une richesse. Ils se sont
francisés, sont bien déterminés et compris de la plupart des francophones.
Ils s’utilisent à l’écrit comme à l’oral sans aucun problème, car introduits et
désormais soumis aux « règles »particulières, spécifiques, propres au
génie français.
Yves Barrême